mardi 2 mars 2010

La passe du vent, d'Éric Sarner, une enquête rêveuse

La Passe du Vent, une histoire haïtienne, d’Éric Sarner, éditions Payot & Rivages, Collection « Voyageurs Payot » (1994). 

Un mot d’abord sur Éric Sarner. Il est écrivain mais aussi poète et homme de télévision, on lui doit entre autres Monos, 1971 ; Beyrouth, Beyrouth à vif, 1985 ; Jazz Encre, 1988 et Mourir place Tian An Men chez Orban, 1990. Son dernier livre est Sur la route 66, petites fictions d’Amérique, paru en 2009 chez Hoëbeke. Autres talents : artiste plasticien et documentariste.
Mais je le place ici en continuateur de Michel Séonnet et son Jacques Stephen Alexis. Rappelons-nous en effet le coup de pied au cul final tout droit jailli des contes africains, et ouvrons La Passe du Vent à la dernière page :
« Sé sa m’tal wè yo ban’qm yon ti kout piyé m’vin tonbe jouk isit rakonte nous sa »  « C’est ce dont j’ai été témoin. D’un coup de pied, on m’a envoyé ici pour vous en faire le récit. » (p.244)
…comme un air de fraternité.

Une enquête rêveuse
  La Passe du Vent, c’est le nom qu’on a donné au détroit qui sépare Cuba d’Haïti. C’est -croit-on savoir- sur cette côte que s’amarrèrent les navires de Christophe Colomb, le 6 décembre 1492. Sarner enquête, comme Michel Séonnet, sur la disparition de Jacques Stephen Alexis. Son fil d’Ariane sera le merveilleux haïtien qu’il suivra pour sa traversée curieuse de l’univers dont il ne cesse de percevoir, en tant qu’homme blanc, que l’aspect irrationnel. C’est justement cette vision du monde qui l’attire et l’entraîne. Un monde en équilibre instable entre Amérique et Afrique dans lequel, dit-il, « l’histoire a toujours eu les mains tachées de sang ». On sent l’écrivain fasciné, pourtant toujours en garde. La première magie qu’il capte et renvoie est celle du créole, langue qui épouse parfaitement les modulations de l’imaginaire caraïbe
« La langue créole travaille comme le rêve. Elle contracte les mots, les agrège, fait rouler les sens les uns sur les autres. » (p.49)

                        Si Sarner est écrivain, il est d’abord un lecteur, un lecteur toujours prêt à se laisser séduire. Il vient en Haïti suite au malaise ressenti à la lecture de la courte biographie de Jacques Stephen Alexis en pages de garde de ses trois ouvrages réédités chez Gallimard dans la collection « L’Imaginaire » (p.18).
« Triste mort, drôle de mort. Les mots d’Alexis m’avaient en quelque sorte annoncé la Caraïbe, et le mystère de sa disparition annoncé Haïti, ses cris et ses silences toujours convulsifs ».
Sarner est un voyageur, et il ressent, concentrées  en Haïti, des impressions de peurs légères déjà glanées à Istanbul, Bangkok ou Colombo. Son enquête rêveuse est prétexte à un voyage de découverte de l’île ; le récit se déroule, piqueté de citations, voire de passages entiers, extraits d’œuvres haïtiennes, Sarner envoie des flashes sur des pans d’histoire qu’il monte comme un film documentaire vif et précis. Après une rencontre avec Andrée, la seconde femme d’Alexis, on le suit dans une cérémonie vodoue mais c’est dans l’évocation de l’aventure de Faustin Wirkus que Sarner exulte vraiment. Il lui consacre d’ailleurs seize pages (pp.209-225) qu’il termine par l’assèchement radical d’une bouteille de rhum Barbancourt cinq étoiles. Lentement, lui aussi s’est glissé dans la peau d’un griot
« Tu ne crois pas à cette histoire, lecteur, tu doutes ? Et quand bien même elle serait inventée, parlerais-tu de mensonge ? Écoute encore… » (p.220)
Et nous écoutons.

MORBRAZ




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